P. Milani: Femmes dans la mouvance communiste suisse

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Titel
Femmes dans la mouvance communiste suisse. La Fédération des femmes suisses pour la paix et le progrès. Un militantisme entre conservatisme et émancipation, 1952–1969


Autor(en)
Milani, Pauline
Erschienen
Neuchâtel 2007: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
176 p.
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre Jeanneret

Ce petit ouvrage, qui prend place dans une bibliographie déjà abondante, complète notre connaissance du mouvement communiste international et suisse. Comme son sous-titre l’indique, il traite de la FFSPP, elle-même section helvétique d’une organisation annexe du mouvement communiste mondial, la Fédération démocratique internationale des femmes (FDIF). A l’instar de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, qui mit sur pied les Festivals mondiaux de la Jeunesse, ou de l’Union internationale des étudiants, fondées toutes deux dans l’enthousiasme antifasciste de l’immédiat après-guerre, celle-ci devint rapidement une organisation satellite, répondant ainsi à l’un des objectifs de la conférence secrète de Szklarska Poreba (22–27 septembre 1947) qui créa le Kominform. Si le caractère cryptocommuniste stalinien de la FDIF – comme en témoignent l’implantation de son secrétariat en RDA, son financement par le bloc de l’Est et ses positions systématiques en matière de politique internationale – ne fait aujourd’hui aucun doute, il fallait alors éviter que le label «communiste» ne soit trop apparent, ce qui aurait considérablement diminué l’audience du mouvement: les femmes engagées dans la FDIF s’appelleront donc «soeurs» et non «camarades », on instrumentalisera la mise en avant de grandes figures pacifistes non suspectes de trop grandes sympathies envers Moscou, comme la reine Elisabeth de Belgique … Cette dichotomie entre la réalité de l’appartenance politique et l’image d’organisation féminine progressiste mais non partisane qu’elle tenta de faire accréditer est aussi valable pour la Fédération des femmes suisses pour la paix et le progrès.

Celle-ci naît les 27 et 28 septembre 1952 à Zurich, dans l’atmosphère de la guerre froide à son paroxysme (guerre de Corée, procès de Prague), contexte certes supposé connu mais que l’auteure, à notre avis, aurait pu rappeler brièvement. Cette fondation n’est pas une création ex nihilo, mais la conjonction de mouvements féminins nés sitôt après la guerre: Mouvement populaire féminin à Genève, Mouvement du 8 Mars (date de la Journée de la Femme) dans le canton de Vaud, et autres organisations cantonales toujours lancées sous l’impulsion de militantes du PST/POP. L’ouvrage présente une analyse dans l’ensemble convaincante de la FFSPP: implantation locale, structures, recrutement socio-culturel, importance numérique, liens toujours ambigus avec le Parti du Travail, surveillance policière, difficultés financières récurrentes qui finissent par avoir raison de deux organes de presse de qualité (Horizons féminins et Wir Frauen), contacts avec les «soeurs» soviétiques au travers du voyage initiatique en URSS ou de l’accueil d’une délégation de celles-ci en Suisse. Un accent particulier est mis sur les axes de la lutte et les actions menées par des militantes peu nombreuses, mais faisant preuve d’un grand dynamisme et de constance dans un engagement social et féministe qui mérite le respect. On laissera donc ici de côté les déclarations en matière de politique internationale, aussi convenues qu’unilatérales, dans un contexte se prêtant certes à tous les manichéismes. On évoquera plutôt les luttes pour la création de crèches et surtout d’une assurance-maternité; la promotion de l’accouchement dit sans douleur (né en URSS sur la base des travaux de Pavlov), par ailleurs perçu comme élément de la libération de la femme; la participation de la FFSPP à la difficile conquête des droits civiques; sans oublier la mise sur pied, à Lausanne en 1955, d’un important Congrès mondial des mères qui réclamait notamment le désarmement nucléaire. La démarche par périodisation chronologique adoptée par l’auteure était-elle cependant la plus adéquate? Si elle tient compte des mutations économiques, politiques et sociales entre 1952 et 1969, elle conduit à des redites, vu le caractère relativement stable des thématiques prioritaires aux yeux des militantes pendant quelque quinze années.

La nature même de ces luttes (presque toutes liées à la maternité, à l’enfance, à l’éducation et au rôle dévolu traditionnellement aux femmes) amène P. Milani à une réflexion pertinente sur le «genre» et la «différenciation sexuelle». Même si cette problématique très à la mode est traitée ici ou là de façon un peu stéréotypée, on peut souscrire au jugement synthétique de l’auteure: «A la fois imprégnées de normes de leur époque et de l’idéologie communiste, les militantes ont une certaine idée de la femme qui marque leur manière d’agir. […] La cassure avec la génération de 1968 sera donc très nette» (p. 18). On relèvera les bonnes pages consacrées au fort sentiment de sororité entre des militantes à la fois liées par un même destin biologique, habitées par les mêmes idéaux et unies dans des combats communs. C’était leur rendre un juste hommage que d’individualiser ces figures de femmes engagées. A propos de plusieurs d’entre elles (Charlotte Muret née Khajet, Marguerite Greub et Marcelle Corswant toutes deux nées Hirsch, Esther Klingelfuss), ne faut-il pas voir un lien entre leur double situation d’«opprimées potentielles» de femmes et de Juives? Enfin Pauline Milani s’interroge sur les causes du déclin et de la mise en veilleuse, sinon la disparition formelle, de la FFSPP. Celles-ci sont diverses. Sa perception très classique des rôles masculin et féminin apparaîtra comme obsolète au temps du MLF; en d’autres termes, l’organisation, vieillissante, ne sera plus en phase avec les aspirations de la nouvelle génération des féministes. Sans doute aussi ses liens avec le Parti suisse du Travail, dans le climat d’anticommunisme régnant, l’ont-elles conduite à une certaine ghettoïsation: en témoigne son rejet par les autres sociétés féminines suisses. La fatigue de ses membres, souvent surchargées par l’accumulation de tâches ménagères, professionnelles et militantes, a pu également jouer son rôle. Quels qu’aient été le caractère relativement confidentiel du mouvement féminin communiste suisse et, dans certains cas, son aveuglement idéologique, la FFSPP a contribué à l’incontestable progrès social qu’a connu notre pays. Pour les militantes elles-mêmes, il a été un lieu d’échanges, d’apprentissage, d’ouverture au monde, les sortant par là d’un univers féminin qui restait souvent confiné.

L’étude de P. Milani, dans l’ensemble bien menée, convaincante, intelligemment illustrée, pâtit hélas de ses défauts formels: une expression trop souvent maladroite, voire une syntaxe défaillante, de fâcheuses erreurs (par exemple la confusion, à propos de Marceline Miéville, entre Conseil d’Etat et Conseil des Etats …), l’absence de mise à jour des notices biographiques (ainsi Antoinette Stauffer nous a quittés en 2004). Acceptable en l’état comme mémoire de licence, ce texte aurait dû subir, avant publication, un «toilettage» et une relecture rigoureuse. S’il faut être reconnaissants à l’éditeur Alphil de mettre des travaux de recherche à la disposition du public, nous nous permettons de souhaiter qu’il se montre à l’avenir plus exigeant sur la qualité du produit fini.

Citation:
Pierre Jeanneret: Compte rendu de: Pauline Milani: Femmes dans la mouvance communiste suisse. La Fédération des femmes suisses pour la paix et le progrès. Un militantisme entre conservatisme et émancipation, 1952–1969. Neuchâtel, Alphil, 2007. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 57 Nr. 4, 2007, pages 480-482.

Redaktion
Veröffentlicht am
23.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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